Chapitre 2 :

Katz contempla longtemps cet étrange être tombé du ciel. Elle s'était attendue à beaucoup de choses, plus invraisemblables les unes que les autres, mais elle n'aurait jamais pensé se retrouver en face d'un poulpe à l'allure pour le moins bizarre, et qui plus est tombé du ciel ! Sa stupéfaction fut plus grande encore quand le poulpe en question sembla lui parler :
« Twla pratriir, twla pratriir sonni twla dériutè ! »
La jeune fille, après quelques secondes, reprit ses esprits et chercha la signification de la phrase du poulpe, qui semblait parler une langue dérivée du français. Elle conclut que ça devait être « Toi partir, toi partir sinon toi détruite ! »
Un frisson d'horreur la parcourt toute entière, et elle se surprit à prier pour que tout cela ne soit qu'un rêve, qu'elle allait bientôt se réveiller. Mais, en regardant le poulpe et son expression toujours aussi indéchiffrable à cause de son sourire continu, elle comprit que tout cela était bien réel et qu'elle avait intérêt à s'armer de courage si elle voulait espérer surmonter cette épreuve.
Malheureusement, il lui fallait du temps pour comprendre le poulpe – qui faisait visiblement lui aussi des efforts pour parler dans cette langue – et, si la menace était aussi grande que cet étrange personnage le disait, il lui faudrait agir vite, très vite.
Elle essaya de ne pas paniquer, préférant tenter de dialoguer avec lui :
« Bonjour... poulpe. Que fais-tu ici ? Quelle est cette menace, dont tu as parlé ? »
Son interlocuteur sembla se concentrer sur les paroles de Katz, avant de répondre :
« Soléé mwla sy twla puus prenrdre mwla, mwla puus bian rlerpa terrerstre. Mwla suui içu envoya du cieux plour plévenir twla du ganr dergean. Mwla puus plouvwar ne dlire plis. »
De la même façon que la dernière fois, Katz devina qu'il voulait dire : « Désolé moi si toi pas comprendre moi, moi pas bien parler terrestre. Moi suis ici envoyé du ciel pour prévenir toi de grand danger. Moi pas pouvoir en dire plus. » Bien que la traduction était assez difficile, la jeune fille se dit que c'était mieux que rien.
Au bout d'un dialogue assez long du fait que le poulpe ne parlait pas vraiment français, Katz conclut que ce poulpe habitait sur une autre planète non loin de la Terre, avec ses semblables. A chaque naissance humaine, un poulpe naissait. A partir de ce moment, les deux êtres étaient liés, sans que l'humain ne le sache. La tâche du poulpe est de veiller sur sa moitié tout le long de son existence. Ainsi, ce drôle d'animal était l'âme sœur de Katz. Jusque là, les poulpes et leurs humains ne s'étaient jamais rencontré. Mais Bolp – car c'était son nom – avait exceptionnellement pu prévenir Katz qu'un grand danger la menaçait, car il l'avait toujours surveillé et aidé mentalement sans qu'elle s'en rende compte, et remplit sa fonction sans relâche.

Katz ferma les yeux. Réfléchissant, perdue dans ses pensées, elle ne savait plus quoi faire. Aux paroles de Bolp, son cœur s'était brisé. Elle qui pensait s'amuser, ce jour-là, à effrayer les superstitieux et faire sa rédaction de français...
Tous ses projets étaient tombés à l'eau, et, à partir de ce moment, elle sut que sa vie ne serait plus jamais vraiment la même.
La jeune fille rouvrit les yeux et soupira. Il ne servait à rien de se lamenter sur son sort, elle décida donc d'essayer de tirer le maximum d'informations de son âme-sœur, dont le sourire glauque commençait à lui devenir presque familier.
Elle inspira profondément.
« Bolp, je suis consciente que j'ai déjà beaucoup de chance que tu aies pu venir me prévenir du danger qui me menace, commença-t-elle en parlant avec lenteur pour se faire comprendre. Mon intention n'est pas de te faire désobéir aux ordres que tu as reçu, mais j'aimerai savoir au moins la source du danger, et ce que je peux faire pour l'affronter. »
L'octopode réfléchit quelques instants. Il sembla se concentrer très fort, avant de déclarer :
« Dangler très gland, très très gland. Mes flères, eux, plas écoutler mwla. Eux penser eux aloir raison, tout le tlemps. Eux en aloir marre d'êtle soumis aux telliens, eux vlouloir êtle libles. Eux pléparer glande attaque des telliens, alec l'aide de nos vloisins les clorbeaux, qui, eux, vleiller sur âme mortes. »
D'abord stupéfaite des brusques progrès du poulpe en français, Katz pensa ensuite à ses paroles. Une attaque de poulpes et de corbeaux ? Son cœur se mit à battre la chamade quand elle s'imagina toute une armée de poulpes et de corbeaux au sourire énigmatique.
Alors, elle se rendit compte que Bolp n'avait pas donné d'informations sur comment échapper à ce danger. Peut-être ne le savait-il pas lui-même, ou alors il ne pouvait pas lui dire. Jugeant qu'il était inutile de le questionner davantage, l'adolescente baissa les yeux. Une goutte de sueur perla sur son front et dégoulina le long se son visage pour s'écraser par terre. Bouleversée, elle tenait à peine debout et il lui sembla que tout tournait autour d'elle. Elle aurait tellement voulu courir chez elle, se blottir dans les bras de sa mère et oublier tout ce qu'il venait de se passer !
Mais elle ne pouvait pas. Elle en savait trop pour ne rien faire, et si une menace planait sur la Terre, si grande que Bolp avait dû venir la prévenir, alors elle méritait son intervention. Serrant les poings, se mordant la lèvre, elle releva la tête, et balaya les alentours d'un regard déterminé, plein de fougue, ses cheveux bruns flottant au vent.